Visite guidée de l'exposition "Jules Perahim. De l'avant-garde à l'épanouissement"
- roumainprovence
- Mar 18, 2022
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Updated: Mar 29, 2022
le 9 mars 2022, Musée Cantini de Marseille
A l'évènement ont participé des étudiants AMU et des membres de L'Amitié franco-roumaine. Sortie organisée par le Département LIRROU, ALLSH, AMU et L'Institut de la Langue Roumaine, Bucarest.
L'œuvre de Jules Perahim a été une découverte pour de nombreux membres de notre groupe et un grand plaisir, grâce à notre passionnée guide conférencière, Madame Carine Mina, qui nous a aidés à mieux comprendre la vie et la vision artistique de ce peintre-poète.
L'exposition est ouverte jusqu'au 24 avril au Musée Cantini de Marseille.
Pour plus de détails : https://musees.marseille.fr/jules-perahim-1914-2008-de-lavant-garde-lepanouissement-de-bucarest-paris
A cette occasion, Monsieur Ioan T. Morar a publié un article dans la revue "România literară" no. 11 / 18 mars 2022.

Jules Perahim, une exposition de réconciliation
Traduction du roumain de l’article
« Jules Perahim, o expoziție de reaşezare »,
publié par Ioan T. Morar, dans « România literară » no. 11 / 18 mars 2022
Lorsque j'ai reçu l'invitation à visiter l'exposition Perahim à Marseille, avec les étudiants du département de roumain de l'Université d'Aix-Marseille, dirigés par le professeur Roxana Bârlea, je me suis demandé ce que je savais de ce peintre. J’avais des connaissances assez vagues : il appartenait à un mouvement d'avant-garde, à côté de Victor Brauner, Geo Bogza, Gherasim Luca, son nom était lié aux magazines « Unu » et « Muci » (sans parler de celui dont le nom commençait par P et se terminait par LA). Preuve supplémentaire que, comme il semblait à certains de mes congénères, dans l'entre-deux-guerres s'est manifesté le plus heureux des jumelages entre liberté d'expression et liberté d'impression. Un paradis de créativité comme d'audace, de la sortie du canon devenue un nouveau canon. Un paradis perdu dans les années qui ont suivi. Voici, dans cette vague image de mon esprit, la figure de Jules Perahim.
Puis j'ai su qu'après s'être retiré en Bessarabie (échappant à l’internement), il était arrivé à Moscou, fuyant le nazisme et s'engageant dans le mouvement communiste. (En fait, j'ai découvert plus tard que Perahim était arrivé jusqu’en Arménie où il a travaillé pendant un certain temps comme illustrateur de livres et scénographe, mais a été appelé pour s'impliquer dans la publication d’un magazine de propagande en langue roumaine). De Moscou il est revenu avec l'armée soviétique et est devenu un des adeptes les plus engagés du « prolécultisme »[1]. Il a enseigné les beaux-arts à Bucarest et a été rédacteur en chef du magazine « Arta Plastică » (Art Plastique). Son talent a été influencé par ses idées politiques et le résultat n’a pas tardé. Pour preuve, la fresque sur le fronton de la Maison de la Culture de Mangalia. Elle est impressionnante même maintenant, surtout si nous faisons abstraction du substrat politique.
Le Musée Cantini à Marseille (qui possède la deuxième collection d’art plastique moderne et contemporain en France, après le Centre Pompidou) m'a donné l'occasion de rencontrer un autre Perahim, même s’il y a aussi une salle consacrée à ses débuts au temps de l'avant-garde roumaine. Une exposition importante qui, je pense, est sur le point de re-placer Jules Perahim dans la cour des grands. Elle est réalisée en collaboration avec le Musée d'Art des Sables d'Olonne (où se trouve une exposition permanente consacrée à Victor Brauner, une sorte de grand frère, mieux connu, de Jules Perahim et qui, avec une meilleure intuition, au lieu de se réfugier en Orient, émigra en Occident). Avant d'arriver à Marseille, l'exposition Perahim a été inaugurée aux Sables d'Olonne.
Comme la visite avec des étudiants (mais aussi avec des membres de l'Association Amitié Franco-Roumaine) avait un caractère didactique, nous avons eu une guide exceptionnelle, Madame Carine Mina, experte du Musée Cantini. J'avoue qu’en général, lorsque je fréquente des musées, je préfère faire la visite par moi-même, à un rythme personnel, sans « système ». Cette fois, cependant, il s'agissait d'une incursion large, complexe et émouvante dans l'œuvre et la vie de Jules Perahim, menée par une personne très bien documentée et attachée à l'œuvre de Perahim.
Une exposition organisée chronologiquement, accompagnée de textes biographiques, d’explications concernant le contexte historique et, avec un mot à la mode, géopolitique.
La seule période manquante dans cette rétrospective est celle du réalisme socialiste, mais des références y sont faites tout du long. Le critique d’art Marina Vanci-Perahim, veuve de l’artiste, dit que celui-ci était devenu de plus en plus déçu de la direction imposée par les conseillers soviétiques, estimant que « l’art engagé devient de l’art dirigé » et se replie de plus en plus sur des projets liés à la scénographie et à la céramique. Madame Carine Mina m’a demandé s’il y avait quelque part une collection de céramiques signées par Perahim. Je n’ai pas su quoi répondre.
En 1969, lors d’une exposition à Tel Aviv, il quitte le pays et n’y revient plus, s’installant, plus de trois décennies après Victor Brauner, à Paris.
Ici, il essaie de se réinventer, de se reconnecter à l’influence avant-gardiste de sa jeunesse. Il se marie avec le critique d’art Marina Vinci, aujourd’hui professeure émérite à la Sorbonne, et voyage en Afrique, où les parents de son épouse possèdent des exploitations minières. Le contact avec l’art et la spiritualité africains marque un revirement de sa passion d’adolescence et de jeunesse pour l'ésotérisme, l’animisme et le symbolisme étrange. Une nouvelle étape commence, stimulée par la chromatique africaine, par les paysages atypiques pour un européen. Les êtres hybrides (cousines, en quelque sorte, des « apparitions » de Victor Brauner) commencent à prendre une place de plus en plus importante dans les œuvres de Perahim. Un monde fantastique, mystérieux, un mélange de végétal et d’animal se révèle « en associant le réel et l’imaginaire, le visible et l’invisible rendu visible » (Marina Vanci-Perahim). Un bestiaire unique, fantastique et fabuleux, soumis à un régime chromatique vif et puissant.
Après une immersion dans l’art et dans la spiritualité africains, Perahim reçoit une nouvelle influence, provenant d’une autre culture qui lui avait été étrangère jusqu’alors. Celle-ci se manifeste après ses voyages en Tunisie, sur les pas de Paul Klee et de Kandinski, quelques œuvres réalisées après ces voyages contenant clairement des allusions et des interprétations des motifs utilisés par ces deux peintres.
L’exposition Perahim dessine un parcours qui se singularise de plus en plus, celui d’un artiste énigmatique, installant des codes poétiques dans ses œuvres, cachant des sens. Sa création de la phase de « pleine maturité » est dominée par la logique du rêve. Et, à ce propos, Madame Mina nous a évoqué une discussion entre l’artiste et son épouse, qui lui racontait tout ce dont elle rêvait, essayant ensuite de découvrir ce que Perahim rêvait : « Je ne rêve pas en dormant, je rêve quand je peins ». L’artiste rêve avec lucidité. Il y a quelque chose de la vision d’un somnambule qui arrive sur le toit où il peint pour qu’il n’ait pas à se réveiller et à tomber dans le réel. « La présence, dans mon œuvre, d’un monde dans lequel animaux, végétaux, éléments mécaniques et anthropomorphes se réunissent dans des véritables « nuits chimiques » est ma manière consciente ou inconsciente de désirer une harmonie universelle », écrit Perahim dans le catalogue de l’exposition Arte et alchimia.
Cette impression de force se retrouve même dans les quelques paysages d’inspiration méditerranéenne, travaillés après que les Perahim aient acheté une maison de vacances en Provence, dans le village Saint-Cyr-sur-Mer.
Des paysages troublés par l’insertion de figurines hybrides, étranges, colorées comme des costumes africains. Le réel plaqué d’imaginaire.
Edouard Jaguer écrit à propos de l’art de Perahim, dans l’album qui lui est dédié, que l’intense vitalité de son œuvre serait due à l’inclination de l'artiste vers « la communication universelle, par une hybridation de toutes les formes de vie dans une sensualité généreuse qui commande et dirige la symbiose de tous les éléments ».
Les dernières années de sa vie, Jules Perahim a été incapable d'utiliser sa main droite, nous raconte Madame Carine Mina, avec émotion. Mais cela ne l'a pas empêché de peindre, en gardant la même précision des contours, la même maîtrise des différentes techniques, en utilisant, bien sûr, sa main gauche. Sans connaitre ces détails, personne n'aurait remarqué ce changement.
Le peintre Jules Perahim a été doublé par un excellent dessinateur et illustrateur de livres. La preuve, dans une vitrine, plusieurs dessins au crayon, réalisés pour illustrer un volume de poèmes érotiques d’un poète français. Il en émane un fort érotisme, même si rien n’est explicite dans ces dessins, qui sont des entrelacements d’êtres étranges, des corps émergents, comme des espèces inconnues, des apparences qui ressemblent à l’humain, mais avec l’humain d’avant sa forme finale, en plein processus de construction.
Dans une autre longue vitrine sont exposées, séparément, les pages d'un alphabet illustré par Perahim, l'alphabet hébreu, qui associe les 22 lettres aux 22 « arcanes majeurs » du tarot (la variante marseillaise). L'extraordinaire minutie du dessin au crayon de couleur, le thème ésotérique démontrent non seulement un talent natif, mais aussi une intelligence spéculative que l’on trouve plus rarement chez les peintres (je suis désolé !).
Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la visite, nous n’étions que deux, et lorsque nous avons terminé le circuit avec notre merveilleuse guide, le musée était plein, non seulement de personnes d'un certain âge qui ont du temps à perdre dans les musées, mais aussi de jeunes, beaucoup de jeunes, qui eux ne se sont pas contentés de voir des œuvres d'art uniquement sur Internet. Et qui classeront sûrement l’artiste né en Roumanie au chapitre : « des joies off line ».
L'exposition Perahim au Musée Cantini est celle d'un artiste qui récupère de manière brillante son statut, une exposition de réconciliation, faisant de l’étape du réalisme socialiste une parenthèse malheureuse qui mérite d’être oubliée.
Jules Perahim. De l’avant-garde à l’épanouissement, de Bucarest à Paris,
Musée Cantini, 26.11.21- 24.04.22, Marseille
Article traduit du français par Paul Julien (Amitié franco-roumaine), Julie Mouret et Alexandru Eremie (étudiants en roumain à Aix-Marseille Université)
[1] Courent culturel, apparu dans l’Union Soviétique après la Révolution d’Octobre, dont les principes esthétiques se réduisaient à l’idée de la formation d’une culture « purement prolétaire », qui rejetait complétement l’héritage du passé.
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